Entretien avec Murielle Bayon, 33 ans. Le 07 octobre 2003
Point de vue
personnel
Pour elle,
l’Exception : « quelque chose qu’on n’a jamais expérimenté, d’unique, pas
seulement pour les yeux et les oreilles, mais qui touche toute la sphère
émotionnelle »
Ses femmes
exceptionnelles :
- Jeannie Longo car elle a duré dans le
temps, puisqu’elle a été médaillée jusqu’à 40 ans
- Laurence de la Ferrière ou autres femmes de
ce type pour des exploits ponctuels Mais pour elle l’exception est plutôt de
l’ordre de l’endurance.
M : A l’origine, son projet
était un rêve d’enfant, par des lectures (comme Jack London), une certaine
passion pour l’aventure, le rêve d’être accompagnée par un chien de traîneau en
Alaska, d’effectuer un parcours en solitaire... A l’âge adulte, elle fait
beaucoup de montagne mais l’Alaska ne viendra qu’après une rencontre avec un
ami des USA qui lui propose de l’accueillir dans sa maison en Alaska.
Son projet,
son rêve:
Avant : Elle décide alors de se
rapprocher du sommet de Mac Hillay (6200 mètres tout en glace) La « grande
montagne » en Indien, qui se trouve à – de 200 m de chez cet ami !
Elle apprend que ce genre de glacier peut se déplacer de 75 Km en une
nuit ! Commence alors de longues recherches sur les glaciers, l’Alaska (il
faut savoir que moins de 1000 alpinistes tentent ce genre d’ascension et qui
plus est, uniquement par hélico… et seuls 3 guides au monde sont capables de
les accompagner, ou encore qu’il y a jusqu’à 13°d’écart avec une boussole
classique à cause de la proximité du pôle Nord !). Elle prépare donc cette
expédition de 3 mois pendant 6 mois ce qui laisse peu de temps ! Elle
étudie l’ensemble du point de vue technique
(réaction face au stress prolongé, permanent et dans les situations de
survie…, lecture sur l’Alaska, les grizzlis, les loups… ) et fait le Mont Blanc
et les écrins pour se préparer
physiquement avec un sac de 20/30 Kg et des raquettes aux pieds car elle
sait qu’elle pourra s’enfoncer à certains endroits jusqu’à la taille… Elle nous
explique que 30 Kg est le poids minimal pour une expédition en Alaska
C’est donc une prise de risque
« calculée », un projet « hors du commun » mais qui en tant
que tel n’a pas un coût démesuré (seul le billet d’avion est relativement
cher : 5 000F à l’époque pour 3 000F de matériel). Elle prépare une Balise de détresse (avec
l’équipe qui a préparé JL Etienne). Et nous dit que tout ce qu’elle a trouvé
sur place était conforme à ce qu’elle attendait.
Murielle insiste sur le fait qu’elle ne souhaite pas
« consumer la montagne » mais l’adopter…
Conversion à la religion protestante à 23 ans par la
lecture de la Bible… « Quoi qu’il se passe en Alaska, Seigneur, l’aventure
sera dans tes mains », Murielle part ainsi confiante, sans stress et sans
angoisse et pense que sans sa Foi en Dieu elle ne serait pas
partie… « On est allé au bout ensemble ».
Elle part avec 5Kg d’avoine, sans tente et aura du
mal à convaincre en Anglais les Rangers auprès de qui elle doit obtenir un
permis ! Elle apprend à ce moment là que les moraines sont tellement épaisses
que les grizzlis peuvent vivre même sur le glacier et devra donc transporter un
tonneau dans son sac après la vision d’une vidéo où une équipe traverse des
rivières de glaciers en groupe (elle sera seule !) et un homme qui se fait
charger par un grizzli. Seule 5 à 10 minutes de profonde angoisse la veille du
départ lui font craindre de perdre ses moyens mais elle sait qu’il faut la
chasser pour ne pas perdre ses capacités.
Le
départ : Le
premier groupe a vu un grizzli à ¼ d’heure de marche, elle effectue donc son
360° toutes les dix minutes mais ne le croisera jamais. Elle doit traverser
pieds nus, deux rivières provenant de torrents glacés, trois cailloux lui
servent d’abri pour la nuit avec son poncho et plus loin son tonneau dos au
vent lui évitera quelques mauvaise rencontres !
Dès le 2éme
jour tout est humide et la pluie ne cessera pas jusqu’à la fin de son
parcours ! Commence une longue remontée et descente des crevasses,
l’apprentissage de l’existence de sables mouvants jusqu’au fin fond des
glaciers ! Elle connaissait leur existence sur le littoral de l’Alaska,
mais devra ici longer le glacier pour trouver un passage plus étroit avec un
saut de 2 à 3 mètres à 2 pieds de façon très rapide pour s’en sortir !
Au bout de 24 H elle est trempée, il fait 0° et elle
grelotte dès qu’elle se repose à midi ou un instant… elle avance toujours, cela
durera 6 jours, elle vivra un « tremblement de glace ». Bien qu’elle
n’ait jamais eu peur de la montagne, qu’elle se sente en sécurité sur la glace,
elle n’a jamais revécut une chose semblable dans sa vie, cela ne peut pas avoir
de nom, l’inexprimable, le non conceptualisable qui tout simplement EST !
Elle sait aussi qu’elle risque de se faire écraser chaque nuit par les rochers
(qui la protègent du froid) si la glace bouge.
Le 6ème jour elle « tord
littéralement son duvet trempé », continuer signifierait ne plus pouvoir
s’isoler thermiquement et donc se mettre en danger. Elle décide alors de faire
½ tour, cependant les pierriers sur glace ont libéré des tonnes de glace et
fait tripler la rivière de volume. C’est alors dans une zone de glace
totalement « lisse », c’est à dire sans moraine qu’une chute va
changer le cours de son expédition. Son bras gauche écrasé par le poids des 30
Kg de son sac fait éclater de nombreux os et écrase son sternum ce qui rend sa
respiration difficile. Elle s’écrie « je n’y crois pas », son crampon
s’est cassé de façon anormale. Après de longues hésitations elle décide
d’utiliser sa balise de secours. En effet, elle ne voulait pas inquiéter sa
mère (au bout de la balise sans pouvoir lui donner d’information sur son état).
Elle sait qu’elle a donc 48h devant elle pour être
retrouvée par les secours dans un cercle de 6 Km de diamètre, ce qui est de
l’ordre de l’impossible en plein glacier ! Elle décide également
d’utiliser sa tenue de rechange et se change complètement avant une pause de
14h. Pendant ce temps d’attente Murielle
commence un « dialogue avec Dieu » … 6 jours total de pluie et
un accident « bête comme chou… pourquoi ? Qu’est ce que tu as à
m’apprendre dans ceci ? »…
A 17 H, premier hélicoptère, Murielle agite sa couverture
de survie, mais les secours ne la voient pas et repartent au bout de 10/15
minutes
2eme temps de prière et de dialogue sous forme de
« duel au sommet » nous dit- elle
19h, deuxième hélicoptère, … même résultat
Pendant 45secondes elle explose en sanglots puis se
raisonne pour pouvoir passer la nuit sur place, sans s’endormir, elle fait bouger alors tous ses muscles un à
un, garde son énergie.
Une seule crainte la travaille : Ne pas imposer
le deuil à ses amis et sa famille, elle découvre combien ils lui sont chers,
prie pour eux toute la nuit, afin qu’ils gardent espoir et soient en paix si
elle venait à mourir. (Cela fait plus de trente heures qu’elle a lancé son
appel et sait que les Rangers ne la considèrent déjà plus comme en vie…. Elle
apprendra plus tard qu’ils ont prié pour elle toute la nuit ainsi que toute son
église et ses amis..)
Elle se souvient d’une phrase au cours d’une
expérience de mauvais temps en montagne : « Soit que nous vivions
soit que nous mourrions nous sommes avec le Christ ».
Le matin, après une lutte acharnée pour pouvoir se
relever et marcher, elle se voit contrainte de marcher sans pouvoir boucler la
ceinture de son sac, ce qui impose à sa clavicule blessée un poids de 15/20 Kg…
malgré un deuxième tri du nécessaire de survie…
Elle demande alors « Seigneur il faut que tu
m’ouvres les crevasses car je ne suis pas capable de faire dans cet état la
même chose qu’à l’aller ». Elle calcule mentalement toutes les chutes de
pierres possible, cherche à prendre les plus petites crevasses afin d’éviter
une glissade ou une chute fatale. Dieu lui « ouvre » effectivement le
chemin, elle aperçoit alors un hélicoptère à 10 H qu’elle ignore, puis
un 4ème à 13H, « elle nous dit qu’elle en avait marre des
hélico » et ne cherchait même plus à leur faire signe.
Malgré un corps exceptionnellement performant, elle
nous explique qu’elle a perçu alors toutes les pathologies de l’extrême :
absence de faim… etc…
Quand soudain elle s’aperçoit qu’elle voit le
chauffeur qui lui fait de grands signes, pour qu’elle se couche..
Sa première phrase, première pensée… : L’épreuve
est finie !
Elle ne comprend pas car elle estime la distance
lointaine mais cet hélico est un appareil militaire qui vient des USA et
provoque donc un souffle qui l’a fait s’envoler puis retomber avec son
sac !
Elle nous dit qu’elle était alors « fascinée, même pas heureuse,
mais dans ce seul constat : Dieu a décidé que j’allais vivre …» On lui
propose des vêtements et boissons chaudes, de la morphine même, elle répond qu’elle s’en moque, et refuse le
tout… tellement émerveillée, qu’elle n’arrive pas à s’en remettre. Elle aura
alors 6 heures de trajet jusqu’à l’hôpital. Murielle est toute attendrie de
voir toutes « les attentions pour elle » ; elle recevra même, un
petit cadeau de si grande valeur à ses yeux : des figues son fruit préféré,
offert par une personne qui lui parle en Français ! Elle retrouve alors la
sensation de faim, perdue dans l’urgence du stress, peut enfin téléphoner à sa
mère pour la rassurer.
A l’hôpital on lui propose une chaise roulante, elle sourit
après ce qu’elle vient d’endurer, son accident s’est déroulé 36h au préalable,
la souffrance est encore supportable nous dit elle au regard de ce qu’elle a
vécu par la suite. Le plus grand spécialiste du poignet chez l’enfant était
dans cet hôpital ce jour là.. elle le félicite pour ses talents de « super
sculpteur », la douleur est toujours supportable, mais il lui apprend que
ce qu’il a fait sera certainement inutile vu son état, une radio lui fait
réaliser l’étendue de celui-ci, une greffe sera nécessaire.
C’est seulement à partir de son rapatriement,
en première classe, avec des personnes qui parlent Français à partir de
Londres… qu’elle vit un véritable traumatisme.. Quelque chose s’est brisé en
elle, elle se sent « déracinée de l’Alaska », et éprouve le sentiment
étrange de ne pas retrouver un chez soi. Elle ne peut toujours pas dormir, cela
durera 3 Jours entiers. (Deux nuits seulement lui ont permis de se reposer chez
son ami en Alaska).
Elle énonce chacun de ses nerfs, un a un, devant le médecin éberlué, qui la pique en
différents points pour endormir son bras. Elle a une tension de 8/ 9, une
amplitude cardiaque de 60, 99% d’Oxygène dans le sang, ils n’ont jamais vu çà,
elle possède toutes les capacités et le corps des champions de France alors
qu’elle ne fait de la montagne qu’une fois pas mois environ. ! Elle
demande même à assister à toute son opération ce qui lui sera refusée.
Commencent alors de terribles douleurs dues à la
reconstruction osseuse, elle se cramponne parfois aux barreaux de son lit,
tellement la douleur est insupportable. On doit alors lui enlever les drains
donc son plâtre… Les souffrances endurées en Alaska lui semblent minimes en
comparaison de toute cette douleur. Elle aurait été prête à accepter une
amputation si cela avait était possible. Lorsqu’on lui remet son plâtre elle se
sent comme un « taureau dans une arène », refuse à nouveau la
morphine car elle veut pouvoir rentrer chez elle. Elle se sent comme une
« bête traquée », le « verre est déjà plein à ras bord ».
Elle ne supporte plus les bruits de l’hôpital) tout son corps est en tension
totale, tétanisée par la douleur, elle souhaite s’isoler. L’anesthésiste
accepte et lui fait une ordonnance à base d’opiacé.
De retour chez elle, La douleur l’empêche toujours de dormir, elle
restera une semaine ainsi dans un état
de somnolence, et de veille sans pouvoir dormir avec parfois les « yeux
dans le mur », avec une conscience claire de pouvoir basculer à tous
moments dans une Névrose post traumatique (qu’elle connaît bien de manière
sémiologique). Elle croit alors qu’elle ne pourra jamais retrouver sa gaieté de
jadis, se sent « psychiquement éteinte », sans émotion, seule sa vie
spirituelle ne s’arrête pas, elle qualifie sa relation avec Dieu de Sinaï, avec
une connaissance réciproque particulièrement profonde : elle obtient des
réponses à ses prières : «Seigneur, je fais Ta volonté ». Un jour,
tandis qu’elle entend à sa fenêtre un hélicoptère, elle se braque dans
un mouvement « de colère et d’attirance intense » à la fois. Elle
repense alors aux témoignages des personnes qui ont vécu la guerre.
Elle a une image altérée de sa main gauche,
l’impression de ne plus avoir de main et d’essayer de s’en convaincre, ce qui
fait qu’elle continuera à « se prendre les portes » pendant 1 ou 2
mois.
Elle sent qu’elle risque de basculer dans le stress
post traumatique et se décide alors à « travailler tout ce qu’elle a
enfermé en elle pour empêcher un cercle vicieux de s’installer ». Elle
réalise que ses douleurs physiques risquent de la rendre folle et décide
d’écrire de façon thérapeutique tout son vécu, ses émotions, qu’elle accepte
dans un deuxième temps de partager.
Un deuxième Hélicoptère passera près de chez
elle, cette fois ci dans le sourire… elle remonte la pente.
Elle suivra 3 ans de rééducation pendant lesquelles
elle va récupérer toutes ses facultés, et toute sa force physique pour des capacités
psychiques maintenant 10 fois plus importantes !
Elle peut dorénavant dormir 6à 7 H par nuit pour se
reposer, a acquis également une « maîtrise émotionnelle et des connaissances physiques 1000 fois
meilleures » Elle nous dit toujours essayer de s’habituer à elle même, 3
ans après, tellement Dieu l’a changé « à Fond ». Elle trouve
cela fabuleux pour le résultat !
Ses qualités : Une bonne connaissance du milieu de la montagne
(étapes au préalable et tests qui lui ont permis de très bien connaître son
corps !et le milieu des glaciers bien que celui ci soit démesuré,
puisqu’il faut plus de 24H pour le traverser). D’ailleurs dans tout ce qu’elle
voit (accompagnement des mourants, des SDF…) elle retrouve cette même connaissance physique et émotionnelle,
ainsi que ses limites (ce qu’elle peut, ne peut pas faire, veut et ne veut pas
faire…) A cette connaissance de soi et connaissance technique s’ajoute sa
Foi : trio de choc !
Son
message : L’essentiel pour elle c’est vraiment de « rencontrer Dieu »,
après la rupture provoquée par Eve, elle se sent bien souvent « désolée de
voir tout ce que les autres ratent et voudraient leur montrer le Chemin, la Vie et la
Vérité. »
Ses
difficultés dans la réalisation de son projet : C ‘est plus le retour du projet qui a été difficile, de devoir
recommencer le travail, de ne plus trouver de sens dans les questions
quotidiennes, particulièrement dans un monde matérialiste, où elle se sent
parfois trois fois « à côté, à l’écart » : par sa foi, par son caractère
et par son projet en Alaska !
Aujourd’hui elle reste très calme face aux accidents
et relativise (ce n’est pas grave, elle ne ressent plus la même frustration
qu’autrefois face à un échec.)
Ses
valeurs :
1/ A quel point nous sommes limités, et éphémères, on ne peut plus voir
l’autre et Dieu tellement on se préoccupe à outrance de soi même. Je vois aussi
à quel point je suis limitée et combien ma vie ne tient qu’à un fil.
2/ La confiance en Dieu va très loin
(beaucoup plus qu’elle ne l’aurait imaginé). Aujourd’hui, elle se sentirait
prête à donner sa vie, ou du moins en a le désir et la volonté et Dieu fera le
reste s’il le faut.
3/ Elle veut donner sa vie aux autres
(Chiens, appartement, mari, toutes formes de « biens humains » n’ont aucune importance pour elle et
représentent seulement la perte de biens ce qui est peu de chose… Elle ressent
cette attention particulière pour les autres, l’empathie et « va tout de
suite au fond » de celui avec qui elle discute.
Son leitmotive, Sa maxime de vie, sa devise : « Rien ne pourra nous
séparer de l’Amour de Dieu manifesté en Jésus Christ »
Son plus grand
succès :
« Etre toujours en vie après tout ce qu’elle a vécu… l’ensemble du miracle
de sa vie ! »
C’est un miracle d’être encore en vie, une vie qui
lui semble du coût tellement longue déjà ! Elle se sent aussi à l’aise
avec les personnes âgées que les bébés, Une vie à 100% brûlante pour Dieu, les
autres et soi même. Elle voudrait ne pas en perdre une miette !
Son domaine
d’expertise : Une résistance physique et nerveuse exceptionnelle (dans le sens hors
norme), une capacité de résilience, de résistance à la pression morale,
psychologique (d’où sa capacité à être utile très rapidement.
Ce qui la rend
unique :
Son histoire propre, ce que Dieu en a fait, elle est toujours dans
l’émerveillement de ce que Dieu a fait dans sa vie (à différentes étapes, en
Alaska mais aussi au moment de sa conversion.. ) Elle est alors impatiente pour
la suite et à 100% d’énergie !
Ce qu’elle
souhaite changer dans sa vie : Spontanément elle dirait qu’elle souhaite ne pas
vivre beaucoup de choses difficiles mais au regard de ce qu’elle est
aujourd’hui elle ne veut rien changer. Elle a reçu la protection de Dieu alors
qu’elle ne croyait même pas encore en Lui, aujourd’hui son histoire a du sens
et elle est le pilier qui soutient sa famille et est d’axe de communication
comme une roue de vélo car sans cela les autres axes sont séparés !
« Je prend tout ! »Conclue-t- elle.
Son
symbole :
Résistance, la corde à trois bras !
Son caractère : Energique, Volontaire (c’est à dire aussi qui ne s’écoute pas trop, sa volonté fait plier le reste) et Attentive ou « présente aux autres ».